Le critère « non-discrimination » de FRAND implique-t-il de céder des licences à tous les niveaux de la chaîne d’approvisionnement ?
La Fair Standards Alliance (FSA) est une organisation qui représente les utilisateurs ou « implémenteurs » de la technologie standardisée. La FSA défend la position selon laquelle le volet non discriminatoire de l’engagement FRAND exige qu’un détenteur de SEP accorde des licences aux acteurs à tous les niveaux de la chaîne d’approvisionnement. Ainsi :
L’Alliance estime que les détenteurs de SEP ne respectent pas leur engagement FRAND lorsqu’ils refusent d’accorder une licence aux implémenteurs uniquement en raison de leur position dans la chaîne d’approvisionnement des produits. Ces refus vont à l’encontre de l’engagement fondamental de concéder les licences à des conditions non discriminatoire. (FSA-Position Paper – juin 2016)
L’objet de cet article est de réfuter l’affirmation selon laquelle le volet non discriminatoire (ND) de FRAND exige que les licences soient concédées à tous les niveaux de la chaîne d’approvisionnement.
Dans un prochain article, nous explorerons pourquoi un système de « licence pour tous » est complètement irréalisable. A ce stade, nous observons simplement que, d’une part, cette interprétation ne trouve aucun appui dans la jurisprudence existante, et d’autre part, cette approche ne fonctionne pas dans l’économie réelle. Nous notons également que l’application d’un régime de licence pour tous entraverait l’innovation dans la technologie mobile standardisée, et ferait ainsi reculer la souveraineté technologique et l’autonomie stratégique de l’Europe.
Dans le contexte de FRAND, les tribunaux ont estimé que la « non-discrimination » signifie que les preneurs de licence dans une situation similaire doivent se voir proposer des conditions de licence similaires. Cela n’oblige pas le titulaire du SEP à concéder des licences à des conditions identiques à pour l’ensemble des preneurs de licences. Même lorsque les preneurs de licence sont dans une situation similaire, certains motifs légitimes peuvent justifier de concéder des licences spécifiant des conditions différentes.
À ce jour, aucun tribunal n’a jugé que le volet ND de FRAND pourrait imposer une approche de « licence pour tous ». Lorsqu’ils évaluent si les conditions de licence proposées sont discriminatoires, les tribunaux comparent systématiquement les conditions de licence proposées aux preneurs de licence qui opèrent au même niveau de la chaîne de valeur (tels que les fabricants de smartphones). Par définition, les fournisseurs à différents niveaux d’une chaîne d’approvisionnement ne se trouvent pas dans une situation similaire. Par conséquent, l’aspect ND de FRAND ne s’applique pas à leur égard.
Même d’un point de vue politique, il ne serait pas logique d’exiger d’un titulaire de SEP qu’il concède une licence à des entreprises qui opèrent à des niveaux différents de la chaîne de valeur. En ce qui concerne les éventuelles distorsions de concurrence, l’octroi de licences à un seul niveau de la chaîne de valeur ne peut avoir aucun effet négatif sur la concurrence. Les fabricants de composants et les fabricants de produits finis ne sont généralement pas en concurrence sur le même marché, il n’y a donc aucun risque que les conditions de licence proposées puissent d’une manière ou d’une autre compromettre leur capacité à rivaliser avec leurs concurrents.
Malheureusement, le point de vue de groupes tels que la FSA semble avoir gagné du terrain auprès du ministère japonais de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie (METI). En revanche, ils ne reçoivent que très peu de soutien au-delà du Japon.
En avril 2020, le METI a publié son Guide de calcul de la juste valeur des brevets essentiels aux normes pour les produits multi-composants. Ses conclusions reflétaient de façon criante la position de certains implémenteurs, qui ont pu influencer les travaux du groupe d’étude concerné. Ainsi, le Guide soutient l’approche « licence pour tous », en caractérisant ainsi le volet ND de FRAND :
… parce que les SEP doivent être « non discriminatoires » en vertu de l’engagement FRAND, ils ne doivent pas traiter les implémenter potentiels de manière discriminatoire en fonction de leurs étapes de transaction.
Ce rapport du METI ne cite aucune jurisprudence ou étude pour faire cette affirmation. À l’avenir, nous encourageons le METI à recueillir les contributions de l’ensemble des parties prenantes concernées pour élaborer ses lignes directrices, conformément au processus mis en œuvre par l’Office japonais de brevets pour élaborer son guide de licence SEP en 2018.